Nous sommes en 1250. La Champagne, alors une des plus considérables provinces de France, est dirigée par notre comte Thibaut, non moins célèbre par ses poétiques écrits que par ses vaillants exploits.
Il s’est lié d’amitié avec la reine Alice, souveraine de l’île de Chypre.
Durant un de ses séjours dans cette île, il traverse un soir la cour du palais, au moment où l’on va affliger la peine du fouet à un pauvre esclave dont le crime est d’avoir pénétré la nuit jusque dans les appartements de la reine, pour y voir une de ses femmes, avec laquelle se sont écoulées les belles années de son enfance.
Le comte a pitié de ce beau jeune homme. Il demande que l’on suspende l’exécution, et obtient sans peine la grâce du condamné.
Grande fut la reconnaissance du jeune cypriote, dont il va donner les preuves quelques jours après. Thibaut doit rejoindre la France. Il monte seul dans une barque légère, richement ornée, et sa suite le précède dans un autre bateau. Au moment où il s’éloigne de la rive, un choc imprévu fait chavirer la faible barque et précipite le comte dans les flots, sous les yeux de la reine. Le danger est grand, car Thibaut ne sait pas nager, et de tous ses pages, écuyers, hommes d’armes, qui poussent des cris et s’agitent éperdus, pas un ne se présente pour le sauver. Le jeune esclave s’élance promptement, plonge et ramène sain et sauf à son navire le comte, au moment où il va infailliblement périr.
Touché de cette preuve de dévouement et désireux de récompenser dignement celui qui vient de la lui donner, Thibaut désire emmener avec lui le jeune cypriote, ce qui lui est accordé.
En France, le jeune homme souffre, d’une mort lente, malgré les soins affectueux du Comte. « Qu’as tu Saleb, et pourquoi pleures-tu ? ». « Le bonheur n’est plus pour Saleb. Je suis comblé de tes bienfaits, je te bénis, mais le bonheur me fuit. Je pense aux 2 beaux yeux noirs qui éclairent mon âme, qui brûlent le sang dans mes veines et font battre mon cœur ». «Tu aimes, Saleb ? Et tu es aimé ? ». « Oh ! Oui ! Sans Léa, Saleb mourra ». « Je te permets de retourner dans ta patrie, va revoir ta compagne Léa ».
Le jeune homme se jette aux pieds du Comte, lui embrasse les genoux, et lui promet de revenir avec Léa pour lui consacrer le reste de leurs jours.
2 années se passent et Saleb ne revient pas. Un matin, on annonce au comte l’arrivée de son esclave et de sa compagne. « Maître bien-aimé, dit Saleb, avec Léa, afin de reconnaître tes bienfaits, nous t’apportons des présents à l’aide desquels, tu deviendras plus célèbre encore que par tes chants si beaux, plus immortel que tes exploits si glorieux ». « Mon doux seigneur, dit Léa en s’agenouillant, ton humble esclave t’apporte la rose, la fleur aux parfums sans pareils, transportée des bois de notre île chérie dans tes jardins, elle te fera bénir de toutes celles qui viendront lui demander l’éclat de la santé et des attraits nouveaux ».
« Moi, bon et noble maître, dit Saleb, je t’offre un pied de l’arbre sans prix, qui donne cette liqueur merveilleuse qui réjouit le cœur. Avec ce seul pied, tu pourras féconder les montagnes de ta patrie, qui acquerront une si grande renommée, que tous les peuples du monde s’en disputeront un jour, les délicieux produits.
Le comte accueille les présents de ses 2 esclaves : bientôt, la rose de Chypre embaume les jardins de son palais de Provins et se répandit dans toute la contrée, dont elle est aujourd’hui encore la richesse.
Quant au cep de vigne, il prospére et se multiplie prodigieusement. Un siècle plus tard, les coteaux incultes et infertiles de la Champagne se convertissent en riches cépages à qui nous devons le vin de Champagne.
Aujourd’hui, tandis que l’île de Chypre, soumise aux lois du Coran, qui défend l’usage du vin, néglige cette précieuse culture, la Champagne devient une des gloires œnologiques de France.