Un tableau fut le joyau du château de Polisy, où le célèbre chroniqueur Nicolas Camusat, chanoine de la cathédrale de Troyes au XVI° siècle, a pu l’admirer et sur lequel il a écrit dans une de ses lettres : « Si l’on en croit le jugement des peintres les plus habiles, ce tableau est le plus beau que la France possède ». Sur ce tableau se trouvent représentés 2 ambassadeurs de François 1er, dont l’un, Jean de Dinteville, cumulait les titres de Gouverneur du Dauphin (le duc d’Orléans), de bailli de Troyes, de seigneur de Polisy et de Bar-sur-Seine, et Georges de Selve. Un tableau pour lequel Jean de Dinteville, grand amateur d’art, n’a pas hésité à faire restaurer son château de Polisy par de grands artistes de l’époque et à y faire aménager une pièce spécialement conçue pour le mettre en valeur. Ce tableau, est de dimensions très importantes, peint par Hans Holbein le jeune, sur un panneau de bois de 207 cm x 209,5 cm, donc presque carré, daté et signé en bas à gauche : « Johannes Holbein pingebat 1533 ». C’est le célèbre tableau des Ambassadeurs, représentant Jean de Dinteville et Gérard de Selve, au milieu des vanités du monde et face à la mort. Le pavement copie fidèlement celui du sanctuaire de l’abbaye de Westminster exécuté au XIV° siècle. Les hommes sont séparés par tables, une petite très basse et une autre très haute et très large. Sur ces 2 tables sont disposés tous les instruments symbolisant les fondements de la culture de cette époque, c’est-à-dire les 7 arts libéraux. Les livres représentent les 3 arts libéraux enseignés par la Sorbonne : la grammaire, la logique et la rhétorique. Les 4 arts libéraux enseignés au Collège royal, la musique, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, sont représentés par le luth, le globe terrestre, la sphère céleste, les compas, les sextants… tous des instruments très perfectionnés construits spécialement pour les savants de l’époque, en particulier Copernic et ses disciples. Quelles sont les circonstances qui ont conduit à Londres les 2 ambassadeurs de François 1er, Jean de Dinteville et Georges de Selves, et qui les ont amenés à y rencontrer le peintre Holbein ? Ce dernier, était partit d’Augsbourg en Allemagne, fuyant les troubles provoqués par la guerre entre catholiques et protestants. Il fit alors connaissance de Jean de Dinteville, jeune et élégant dandy, grand érudit et amateur d’art, ambassadeur du roi de France à la cour d’Angleterre, qui lui demanda de faire son portrait. Jean de Dinteville manda à Londres, au moment des fêtes de Pâques 1533, son ami Georges de Selve, le deuxième personnage représenté sur le tableau.
Le domaine de Polisy appartenait à la famille de Dinteville depuis le XI° siècle, mais on ignore à quelle époque a été édifié le plus ancien château à cet emplacement. On sait qu’en 1390, au confluent de la Laigne et de la Seine, existait une demeure où résidait Itier de la Broce, écuyer des Dinteville, simple « maison tenant à la rivière Seine », mais non maison forte. Cette maison devait être garnie quand même de moyens de défense, puisqu’elle a été prise par les Bretons, c’est-à-dire les Anglais, pendant la guerre de Cent ans. Après le départ des bandes anglaises, le château de Polisy a été relevé de ses ruines et doté de tous les moyens de défense nécessaires en cette époque troublée. En 1864, dans l’« Almanach de Bar-sur-Seine », Lucien Coutant publia une lithographie reproduisant un dessin anonyme daté de 1629 représentant le château de Polisy. Au début du XVII°, le château conservait donc encore ses tours et son pont-levis. Il devait probablement garder son aspect extérieur tel qu’il était du temps de Jean de Dinteville. Le gros œuvre était pratiquement terminé en 1544, mais les travaux de décoration intérieure dureront encore plusieurs années. Cette décoration avait été confiée à 3 éminents artistes de l’époque, d’après une charte signée par Jean Thiénot, vicaire général de l’évêque de Troyes, agissant au nom du Primatice, alors abbé laïc de Saint-Martin-ès-Aires. La présence à Polisy du Primatice et de Dominique le Florentin, alors que la construction du château de Fontainebleau n’était pas encore achevée, nous permet de mesurer l’estime que François 1er portait à son ambassadeur et au gouverneur de son fils le duc d’Orléans. Jean de Dinteville avait fait aménager en particulier dans son château, une vaste salle au premier étage, à laquelle on pouvait accéder du salon situé au rez-de-chaussée par un escalier creusé dans le mur d’enceinte qui mesurait à cet endroit 1,70 mètre d’épaisseur. Le pavement de cette pièce était décoré d’un carrelage, de 15 cm de côté, daté de 1545, du célèbre italien Serlio. Ce carrelage se composait de 3 compartiments octogonaux décorés chacun d’une figure allégorique, une des 3 vertus théologales : fides, spes, caritas, et des armes des Dinteville. C’est dans cette pièce qu’avait été installé le tableau de Hans Holbein. Le carrelage d’origine italienne du château était sans doute destiné à faire pendant au carrelage également d’origine italienne peint sur le tableau.
L'ancienne basse cour du château se compose d'une aile d'entrée, d'une grange, des anciennes écuries et d'un logement indépendant. L'aile d'entrée comprend le passage, le puits, l'ancienne laiterie ainsi que le cellier, vaste espace formé de deux vaisseaux voûtés sur croisées d'ogives. Dans les années 1830, la basse cour a été complétée par une nouvelle dépendance qui offre une serlienne. Le logis est séparé de la basse-cour par un fossé. Il comprend, le long de la Laigne, un solide pavillon rectangulaire au Sud, formant saillie, prolongé par une aile Nord. Cette partie a été reconstruite entièrement par Jean de Dinteville. En effet, après ses ambassades en Angleterre, Jean de Dinteville a pris la succession de son père comme bailli du roi à Troyes et, dès 1537, il se retire à Polisy qu'il aménage jusqu'à sa mort. Les travaux débutent par la basse cour, comme le rappelle l'inscription de l'ancienne entrée. Ils sont terminés en 1544, comme le précise une autre inscription dans les caves du château. On remarque la façade d'entrée qui offre à l'étage supérieur une composition des années 1540 dans l'esprit de Serlio, où des baies rectangulaires alternent avec des niches. A l'intérieur, il subsiste des solives peintes et le décor peint d'une cheminée représentant une allégorie de la « Justice » et de la « chasteté », qui accompagnait un magnifique pavement de faïence vernissée daté de 1545.
Jean de Dinteville mourut dans son château en octobre 1554, des suites d’une longue et pénible maladie. Dans la chapelle privée attenante à l’église paroissiale qu’il avait fait auparavant restaurer et où avaient été inhumés tous ses aïeux, on n’a pas retrouvé la trace de sa tombe.
Après sa mort, le château de Polisy passa aux mains d’une nièce, et bientôt devint la propriété de la famille Choiseul, qui, au XVIII° siècle le transforma intérieurement, en créant des pièces plus basses que celles du XVIe siècle et en les décorant de lambris. Une nouvelle entrée avec un perron et des pavillons en saillie est aménagée entre 1777 et 1842. L'extension néo XVIIIe, au Nord du corps de logis, date des années 1903-1908 et marque la fin des transformations du château.
Que reste-t-il du château des Dinteville qui faisait miroiter sur les eaux de la Seine ses tours crénelées et son pont-levis imposant ? Une vieille bâtisse semblable à d’autres bâtisses de la même époque où toute animation s’est éteinte. A la Révolution, le château fut vendu comme bien national avec tous ses meubles et tous ses objets d’art. Le tableau d’Holbein fut retrouvé dans une vente publique aux enchères publiques à Paris, le 25 avril 1787 et fut acquis par un marchand d’art qui se hâta de le revendre en Angleterre en 1892. A partir de 1803, le tableau aurait fait partie de la collection du comte de Radnor à Long Casrel, avant d’être acquis par la National Gallery à Londres en 1890.
L'ensemble du château a été très endommagé par un incendie en 1992.
L'exceptionnel pavement de faïence vernissée du château de Polisy a été acquis par l'État en 2008, pour le musée national de la Renaissance, à Écouen, grâce au mécénat du groupe Axa, et est classé trésor national. Par son ampleur et la vivacité de ses couleurs, ce précieux témoignage sur le décor des châteaux français et les liens privilégiés entre l'Italie et la France à la Renaissance permet de mieux appréhender un type d'œuvres rarement préservées jusqu'à nos jours. Le musée de la Renaissance à Écouen enrichit ainsi une très belle collection de carreaux de pavements.