Dans l'église de Vendeuvre, au-dessus de la porte de la sacristie : le Tableau des Onze mille vierges, qui m'a toujours intrigué.
Propriété de la commune de Vendeuvre-sur-Barse, il s'agit d'un panneau peint sur bois, d'auteur inconnu, datant du début du16ème siècle (H = 92 cm; L = 156 cm ; dimensions prises cadre compris – récolement du 28/02/1974 – Enquête thématique départementale – patrimoine mobilier des églises de l'Aube ; liste objets classés MH)
Le peintre a représenté l'arrivée des Onze mille Vierges à Cologne et le début du massacre.
La Légende conte l'histoire de Sainte Ursule. Cette princesse bretonne n'accepte d'épouser un prince païen que s'il se convertit et qu'il lui laisse 3 ans pour aller à Rome avec ses 11 000 compagnes.
Franchissant les Alpes, elle arrive à Rome où elle est reçue par le pape Cyriaque. Hélas! Lors du voyage de retour, passant par Cologne, Ursule et ses protégées, refusant d'abjurer leur foi chrétienne, sont massacrées par les Huns. La légende prouve une foi inébranlable conduisant une foule immense au martyre. La composition montre les futures martyres dès leurs descente de bateaux.
Extrait de l'Aube Journal des intérêts de la Champagne:
"La légende de Sainte Ursule et des Onze mille vierges, jouissait d'un grand crédit dans toute l'Europe au Moyen-Âge ; elle rencontra plus tard quelques incrédules.
Les esprits sceptiques l'expliquent ainsi : dans le martyrologe, on lit le nom de Sainte Ursule et d'une vierge appelée Undecimilla.
Des copistes ignorants ont fait de ce nom propre undecim millia virgines (11 000 vierges)
D'autres critiques ont rétabli ainsi le passage réfuté mis en doute : Sainte Ursule et XI M.V. Ce qui signifie en abrégé : Sainte Ursule et onze martyres Vierges.
De cette façon, les 11 000 vierges martyres se trouveraient réduites à 11, chiffre déjà fort honnête, même dans les temps reculés. (Voir la dissertation de l'abbé Thiers, curé de Vibraye, tome IIème, pages 461 à 464)
À Cologne, on montre encore aujourd'hui la Chambre d'Or des onze mille Vierges, et dans le cloître des Ursulines, on voit les ossements.
Écoutons ce que nous disent les auteurs du « Voyage littéraire de deux bénédictins » :
« L'Abbaye des Machabées à Cologne, est située dans le lieu même où l'on a fait mourir Sainte Ursule et ses compagnes. C'est pourquoi elle est en possession de ce grand trésor, qui sert d'ornement et de tapisseries à l'église, car les ossements y sont rangés depuis le haut jusqu'en bas. »
L'abbaye royale Notre-Dame de Soissons se vantait aussi de posséder quelques reliques des Onze mille Vierges, notamment le corps entier de l'une d'elles nommée Sainte Pinose (Voir Histoire de Notre-Dame de Soissons, par Dom Germain 1 675, in 4ème.)
Comme on le comprend facilement, notre intention n'est pas de discuter sur ce sujet, ni de raviver la polémique théologienne, actuellement assoupie. Nous n'agiterons pas la question de savoir le plus ou moins de vraisemblance de la légende des Onze mille Vierges; comme on ne peut nier qu'elle soit simple et attachante comme un vieux fabliau, nous voulons faire connaître à nos lecteurs un beau tableau en bois de l'église de Vendeuvre, peint au XIème siècle, et qui traduit fort naïvement cette touchante histoire.
Sur le premier plan, on voit les Vierges assemblées pour chanter la gloire du Très-Haut. Leur costume est simple et sans trop d'anachronisme; les figures sont belles et expriment l'enthousiasme qui devait les animer.
Au bas – cartouche gauche –, on lit cette inscription qu'on aurait dû laisser faire au célèbre poète Nicolas Bourbon, né à Vendeuvre en 1503 et mort à Condé (Maine-et-Loire) vers 1542: "Les onze mille vierges se assemblèrent pour exalter l'âme de la foy de Notre Seigneur, dont Sainte Ursule est la principale."
Sur le second plan, qui est en quelque sorte comme le second acte d'un mystère gothique, les bourreaux vêtus de rouge et armés du large sabre, désigné à cette époque sous le nom de Mannaia, remplissent leur cruelle fonction.
Déjà plusieurs jeunes filles ont été massacrées par le fer; on aperçoit leurs têtes séparées du tronc.
D'autres jeunes chrétiennes attendent avec résignation leur sort fatal; on les distingue confusément sur le tillac des vaisseaux barbares.
Dans l'azur du ciel, se détachent plusieurs jeunes martyres au maintien modeste, au regard pudique. Elles n'ont de voile que leurs longs cheveux blonds, et sont supportées en l'air par la main des anges.
L'artiste a voulu figurer par là, suivant la symbolique de cette époque, les âmes des vierges portées en paradis par les anges.
Cette composition bizarre est d'une exécution fine et soignée; elle mérite d'être remarquée bien qu'elle soit fort peu connue. Malheureusement, elle est en partie cachée par le banc-d’œuvre des marguilliers, qui s'en soucient fort peu et qui appuient sans façon leur rustique chevelure 1.
Ce n'est pas encore tout. Dans les lointains, du dernier plan et sous un ciel d'outre-mer foncé, comme les peintres du Moyen-Âge les affectionnaient tant, se dessine une enceinte fortifiée avec des tours à clochetons aux créneaux; on voit de petites têtes diversement coiffées, dont les yeux tournés vers la mer, expriment tout l'intérêt que les spectateurs prennent au drame sanglant qui s'opère en leur présence.
Ces spectateurs oisifs, ce sont les bourgeois idolâtres et ces tours à créneaux représentent Cologne sur le Rhin.
Voici la légende qui se lit en bas – cartouche droit –, en caractères gothiques, comme la première:
" Elles arrivées à Cologne sur le Rhin furent martyrisées pour leur foy de Dieu et leurs âmes portées par les anges en paradis."
Nous avons vu à regret, comme nous venons de le dire, ce tableau placé au-dessus du banc des marguilliers.
Dans l’intérêt de la conservation de cette page précieuse pour l'histoire de l'art, ne devrait-on pas la placer convenablement, la mettre à l’abri des doigts profanateurs et destructeurs ² ? On l'a déjà gratté, par ignorance sans doute, en plusieurs endroits, avec un canif; cependant elle est digne d'un meilleur sort.
Nous devons cet article à M. Ch. Grouët, l'un des rédacteurs du "Monde Savant" et de la "Revue Archéologique" de la Manche, auteur des "Sépultures des rois et des reines de France."
C.M
1. Position autrefois occupée, mais actuellement déplacée au-dessus de la porte de la sacristie.
2. Le tableau a fait l'objet d'une habile restauration.
NB: Comme quoi le vandalisme en matière d’œuvres d'art a été et reste toujours d'actualité. Se rappeler, il y a peu, de l'amputation des membres de la statue du Bon Dieu de pitié par des vandales, (le beau XVIème siècle, chef-d’œuvre de la sculpture champenoise, sis dans sa niche, rue du Quai Saint-Georges) pourtant protégée par une grille)
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